– La taille des agrumes

LA TAILLE DES AGRUMES

1/ INTRODUCTION : Faut-il tailler les agrumes ?

1.1/ Vu sous l’angle de l’éthique

Bien qu’un arbre parle peu, et ne manifeste pas davantage ses sentiments, on peut s’imaginer à sa place et se dire que la taille peut être une opération traumatisante pour lui. Ce qui amène à supposer que plus la taille est modérée, mieux ça vaut. En espérant qu’ainsi de surcroît le travail à faire sera plus réduit ; mais en fait, il n’en est rien, et une taille « douce » est en réalité plus longue à effectuer qu’une taille plus sévère.

Certaines religions dites primitives (animisme, chamanisme, etc.) considèrent que toute entité (donc également les végétaux, et en particulier les arbres) a une âme. La taille peut alors apparaître comme une action pas très gentille à leur égard. Dans ces cas-là, quelques paroles d’excuses, ou une ou deux offrandes, peuvent régler le problème. Quoi qu’il en soit, aucune religion à ma connaissance n’émet de réserves quand à la légitimité de consommer des produits végétaux. Mais de toute façon, le côté éthique n’est pas le sujet du présent texte.

1.2/ Vu du point de vue de l’utilité

La nécessité de la taille n’est pas universellement reconnue. Selon Masanobu Fukuoka1 : « Permettre à un arbre fruitier de suivre sa forme naturelle est le mieux. L’arbre portera des fruits chaque année et il n’est pas nécessaire de le tailler. Un agrume suit le même modèle de croissance qu’un cèdre ou un pin, c’est-à-dire un seul tronc central poussant droit avec des branches s’étendant alternativement.[…]. Si on fait pousser les arbres selon un modèle de développement artificiel et si on les abandonne dans cet état, les branches s’enchevêtrent et les insectes font des ravages.[…]. Mais si les arbres sont corrigés graduellement, ils retrouveront finalement à peu près leur forme naturelle. Les arbres deviennent plus forts et les mesures de contrôle des insectes inutiles. Si on plante un arbre avec soin et si on lui permet de suivre la forme naturelle dès le début, il n’est pas nécessaire de le tailler ni de le pulvériser. La plupart des plants ont été élagués ou leurs racines ont été endommagées à la pépinière avant d’être replantés au verger, ce qui rend l’élagage nécessaire depuis le début. ».

Conclusion : dans le cas le plus général, il faut tailler.

1.3/ Taille et psychologie de l’arbre

Que l’arbre ne manifeste pas ses sentiments ne signifie pas obligatoirement qu’il n’en a pas. J’ai ouï dire que la fructification était liée à l’instinct de reproduction (les fruits portant les organes de reproduction, en l’occurrence les pépins) ; que donc un arbre un peu stressé, pas trop en forme, aura tendance à produire davantage, ressentant la nécessité de se reproduire pour perpétuer l’espèce. Il y a là bien sûr une logique à ne pas pousser trop loin. Mais des considérations de ce genre n’entrent pas non plus dans le cadre de la présente étude, et on n’évoquera donc pas ici la pertinence de l’éventuelle mise en place d’une cellule d’assistance psychologique pour les arbres au moment de la taille2.

1.4/ Pourquoi tailler?

1.4.1/ Au premier niveau, l’objectif – primaire – de la taille est d’optimiser la récolte, d’une année à l’autre, tout en assurant la pérennité de l’arbre.

« La taille conditionne la régularité de la production et l’obtention de bons calibres. »3

1.4.2/ Pour répondre à l’objectif fixé ci-dessus en 1.4.1, on va essayer de faire en sorte que l’arbre soit dans la meilleure « forme » possible, dans tous les sens du terme (pour ma part, je me refuse absolument à prendre en compte l’éventualité d’une « prime au stress »). Les arbres prospèrent grâce à la photosynthèse, permise par l’accès du soleil aux feuilles. Les agrumes sont des arbres qui aiment le soleil, et la chaleur. La taille doit donc permettre à l’arbre de porter un maximum de feuilles susceptibles d’être au soleil, au moins une partie de la journée. Un des moyens de réaliser cet objectif consiste à éclaircir l’arbre, de façon à permettre aux rayons du soleil de pénétrer à l’intérieur, pour y atteindre, comme dit ci-dessus, un maximum de feuilles. Bien sûr, on ne va pas éclaircir en supprimant des branches au hasard. Un autre élément à prendre en compte est la circulation de la sève, qu’il importe de ne pas contrarier.

Outre l’obtention d’une production de fruits, je me suis fixé une autre contrainte : je souhaite que mes arbres conservent l’aspect de l’image que je me fais d’un arbre, une sorte de boule sur un tronc. D’autres formes peuvent être envisagées, et permettre d’obtenir des productions peut-être équivalentes voire meilleures, mais personnellement ce n’est pas le choix que j’ai fait, et donc je n’en parlerai pas ici,

1.5/ En pratique

Un arbre non taillé émet, d’une année sur l’autre, des charpentières dans toutes les directions, elles s’entrecroisent, se gênent mutuellement. L’intérieur de l’arbre devient un enchevêtrement inextricable qui ne reçoit plus la lumière du soleil, les branches se dessèchent et les récoltes diminuent. La taille permet d’éviter ces problèmes, en assurant la discipline. Un peu comme à l’armée, un peu comme « je ne veux voir qu’une seule tête », mais en sens inverse, puisqu’il s’agit là de voir toutes les feuilles.

La façon dont la taille est effectuée conditionne la récolte.

En ce qui nous concerne, nous effectuons en principe une taille annuelle sur clémentiniers, orangers, mandariniers, plutôt tous les deux ans pour les pomelos, et aussi tous les deux ans sur les citronniers (dans ce dernier cas plus par manque de temps que par conviction).

2/ TECHNIQUE DE LA TAILLE DES AGRUMES

Il faut rester modeste, et avoir conscience que la taille des agrumes n’est pas une science exacte. Il n’existe pas une façon « idéale » de tailler un arbre ; si on pouvait retailler un arbre qu’on vient de tailler, on ne le taillerait sans aucun doute pas exactement de façon identique. Le tailleur pourra s’améliorer, d’une année sur l’autre, au vu des résultats de la taille ; résultats qui sont, bien sûr, très difficiles à constater…

2.0/ Opérations préalables

Avant de commencer à tailler, il est intéressant de savoir ce qu’on va faire du produit de la taille, dit « bois de taille » ou « brouts ». Quelle que soit la méthode choisie (voir ci-après le chapitre « Après la taille »), il me semble préférable, avant la taille, de débroussailler (en fait, couper l’herbe) sous les arbres, pour pouvoir ensuite plus facilement collecter les brouts. Et ensuite étaler BRF ou engrais.

Nous utilisons une débroussailleuse à fil rotatif, efficace sur l’herbe, inefficace sur un mélange d’herbes et de brouts, lesquels contiennent des branches plus ou moins grosses. Et nous laissons l’herbe sur place. Il faut prendre soin d’éviter de blesser le tronc de l’arbre avec le fil de la débroussailleuse.

2.1/ Outils de taille

On utilise des sécateurs manuels ou électriques, des ébrancheurs, des scies, en fonction de la taille de la partie à couper… Le sécateur doit être tenu de façon à ce que le coté tranchant se trouve du côté de l’arbre, le côté non tranchant (qui écrase) du côté du rameau enlevé.

Il est primordial que les outils de taille soient désinfectés avant usage, afin d’éviter de transmettre virus, champignons, maladies d’un arbre à l’autre. On peut désinfecter à la flamme ou dans l’eau de javel pure. Mettre des gants est indispensable pour protéger les mains des risques de coupure causées par le sécateur, car dans certains arbres touffus, on ne voit pas toujours en même temps et les mains et le sécateur ; et aussi pour se protéger des épines, dans certains arbres. Les outils utilisés doivent être correctement affûtés pour permettre d’obtenir une coupe nette qui cicatrisera plus facilement. La coupe doit être plane et lisse, de préférence en pente (i.e. pas horizontale), pour ne pas retenir l’eau de pluie.

2.2/ Taille de formation

Principe : obtenir une charpente solide, aérée, avec des départs de charpentières répartis en hauteur et en étoile autour du tronc. La forme générale étant une sorte de sphère garnie de ramifications intérieures réparties en couches successives dans le feuillage.

Le jeune arbre peut parfois pousser vite. Équilibrer la charpente de l’arbre dès la plantation, si possible à la fin de l’hiver. Dégager en bas sur 60 cm, conserver 3 charpentes, puis 3 sur chacune, etc. En tout 3 couronnes successives ; enlever toutes charpentes en plus.

Un jeune arbre est plus sensible aux rayons du soleil. On peut, dit-on, le protéger de ce risque en le blanchissant au vinyle ou à la chaux4.

Règle du tiers : la taille de formation ne doit pas enlever plus du tiers du feuillage.

2.3/ Taille annuelle d’entretien ou de fructification

Objectifs : obtenir une production régulière et favoriser le renouvellement du bois.

Il me semble qu’une taille modérée est généralement préférable. Une taille trop sévère n’amène pas une récolte plus importante, mais la pousse rapide de nombreuses branches souvent verticales (gourmands) sans intérêt pour la fructification. Certaines peuvent cependant s’avérer utiles, par la suite, pour remplacer du bois ancien ou mort. Il faut cependant probablement nuancer en fonction des arbres ; d’après mon expérience, il semble par exemple que les clémentiniers supportent une taille plus sévère que les kumquats. Laquelle taille sévère donnera, dans le cas de certains clémentiniers (observation effectuée sur des Caffin), un nombre moindre de fruits, mais de plus grosse taille (c’est d’ailleurs toujours le cas, les fruits sont plus petits s’ils sont très nombreux, plus gros s’ils sont peu nombreux).

La première tâche consiste à éliminer tout le bois mort, qui encombre l’arbre et contrarie un développement harmonieux.

Ensuite, toute la difficulté consiste dans le fait qu’il n’existe pas de règles strictes ; l’efficacité de la taille dépend du jugement de l’opérateur.

Chez les agrumes, chaque bourgeon peut évoluer en un an en produisant une pousse susceptible de porter des fleurs qui donneront un ou plusieurs fruits terminaux. Les fleurs sont portées par des pousses de l’année précédente et, en plus faible proportion, par des pousses de l’année (pousses d’un vert clair, ou violettes pour les citronniers) provenant de bourgeons qui démarrent au printemps et produisent une ou plusieurs fleurs à leur extrémité. Toutes les pousses de printemps peuvent être fructifères. Celles qui donnent les plus beaux fruits sont portées par les rameaux de l’année précédente, donc sur du bois âgé d’un an. Les bois plus âgés portent des rameaux donnant des fruits de plus petit calibre. Le bois doit donc se renouveler.

Avant de commencer la taille (et a fortiori pour la taille de formation), il convient de faire le tour de l’arbre en essayant d’imaginer ce qu’il deviendra après la taille et si possible dans un futur plus lointain, et de faire des choix sur ce qui doit être conservé ou supprimé, en gardant à l’esprit l’objectif de permettre une meilleure alimentation des éléments conservés. Pour ce faire, la sève doit être répartie dans l’arbre de façon à lui assurer une continuité de circulation (simple logique hydraulique). A cet effet, le diamètre des branches doit diminuer progressivement, sans jamais aboutir à une diminution brutale. Ni à un changement brutal de direction. On ne doit donc pas supprimer des branches vigoureuses au bénéfice de brindilles. Pour l’arbre, tout autant que la photosynthèse, la circulation de la sève est vitale ; il importe donc de faire en sorte qu’elle soit assurée dans les meilleures conditions possibles, en particulier en évitant de l’envoyer dans un mur. Ce qui est l’effet obtenu si on coupe brutalement une grosse branche. L’afflux de sève à l’extrémité du moignon va alors aboutir à la formation d’un faisceau de pousses qui, ne pouvant suivre la direction normale vers l’extérieur de l’arbre puisqu’elle a été coupée, vont partir dans toutes les directions, perpendiculairement au moignon voire en direction de l’intérieur de l’arbre, rarement dans la bonne direction puisqu’elle a été fermée5.

La taille ne doit pas, dit-on, diminuer le volume extérieur de l’arbre. Cependant, dans le cas particulier où deux arbres sont entremêlés parce qu’ils ont été plantés trop près l’un de l’autre, on sera amené à réduire le volume extérieur de chacun, afin de l’adapter à l’espace disponible.

L’année où l’arbre produit beaucoup, ne pas le tailler ou très peu ; l’année où il n’a pas produit, le tailler un peu plus.

Pendant la taille, il est préférable de faire tomber à terre au fur et à mesure les branches coupées, pour savoir où on en est. Quand la taille est terminée, finir d’éliminer du feuillage les dernières branches coupées (les « brouts »).

La taille, donc, doit être menée de façon à aérer le feuillage et à permettre au soleil de pénétrer à l’intérieur de l’arbre. Ce qui amène à privilégier les branches qui se dirigent vers l’extérieur de la ramure (cette opération est plus facile si l’opérateur pénètre à l’intérieur de l’arbre, car on y voit mieux le sens des branches), et à supprimer celles qui se dirigent vers l’intérieur de l’arbre (quand la densité des rameaux est trop importante) ou qui croisent les précédentes (il s’agit de « peigner », de « détricoter »). En ce sens, on peut dire que la taille doit intégrer des préoccupations d’ordre esthétique. Les branches conservées doivent être harmonieusement réparties, et chacune doit disposer de son « espace vital ». Les branches conservées prioritairement sont celles qui suivent un trajet « logique », lequel sera le plus court trajet du centre de l’arbre vers l’extérieur, en montée légère ou moyenne. Les branches montantes sont en général les plus vigoureuses, la sève ayant plutôt tendance à monter (noter qu’il existe des arbres à port tombant, comme certains pomelos. Il faudra tenir compte de cette particularité lors de la taille). Eclaircir si les branches sont trop proches les unes des autres ; supprimer les rameaux chétifs (qui souvent donc pointent vers le bas, et les rameaux verticaux (gourmands) qui feront du bois mais pas de fruits. Cependant les gourmands bien placés pour assurer le renouvellement du bois seront conservés. Les pousses supprimées doivent être coupées à ras (il ne doit pas rester d’ergot – ou chicot – de taille), donc à leur départ, et jamais à mi-longueur. Dans le cas général, on coupera à ras une des deux branches d’une bifurcation (schématiquement, un « Y »). La coupe sera généralement parallèle à la branche supérieure conservée du « Y ». Il pourra être nécessaire de se déplacer pour pouvoir positionner le sécateur ou autre outil de coupe de façon à obtenir le meilleur angle de coupe. La taille est un exercice pour lequel une certaine souplesse du poignet est un réel atout. On est amené à tourner en permanence le sécateur dans un sens ou un autre, en fonction de la position des branches à couper.

Il pourrait être tentant, pour aérer l’intérieur de l’arbre, de le tailler en gobelet6 (c’est à dire de supprimer toute branche feuillue à l’intérieur de l’arbre, en ne conservant que le pourtour) ; cette technique, plus facile à mettre en œuvre, est envisageable, mais entraîne une diminution de la récolte. Il est bien sûr intéressant, et même préférable, de faire en sorte que l’exploitant puisse pénétrer à l’intérieur de l’arbre, pour faciliter la récolte, et… la taille. Il faut éviter de faire des trous dans la ramure ; après la taille elle doit rester continue quoique aérée (mais une erreur ne serait pas très grave ; les trous se rebouchent vite tout seuls).

Après avoir ôté le bois mort, observé l’arbre et défini les grandes lignes de la taille, on commence par le « gros œuvre » (éléments de diamètre plus important) et on termine par les finitions. On enlève en premier les grosses branches, car il est inutile de perdre son temps à les tailler finement pour les supprimer ensuite.

Commencer plutôt par le bas (ce que j’appelle « faire la barbe »). Supprimer les branches basses qui penchent vers le bas. C’est un moyen de renouveler le bois ; l’année suivante, les branches du dessus auront pris leur place. On peut ensuite continuer la taille en remontant au fur et à mesure, ce qui permet d’utiliser au maximum les possibilités de taille depuis le sol, donc dans des conditions plus confortables que sur une échelle ou à l’intérieur de l’arbre. Mais la méthode idéale n’existe pas, à chacun de choisir celle qui lui convient. On peut aussi partir du haut pour aller vers le bas, ce qui permet d’enlever plus facilement du feuillage les branches coupées qui sont tombées des branches supérieures.

Les pousses fructifères devraient être réparties régulièrement sur les branches. Laisser les pousses « couronnées » (avec fleurs). Sinon, si elles sont vigoureuses, les tailler à quatre feuilles. En laisser tous les 10 cm.

On peut laisser une branche sans feuille, pour les futurs rameaux.

Chez les agrumes, on constate souvent un nombre important de pousses à l’extrémité des rameaux, plus particulièrement sur ceux qui ont été taillés l’année précédente. Phénomène fréquent sur clémentinier, moins sur citronnier. Il est nécessaire d’éclaircir ces touffes. Oter une tige sur deux ou 3.

La taille doit être adaptée pour chaque variété d’agrumes.

Le mandarinier se divise davantage par nature. Ne pas hésiter à tailler à la cisaille, former des couronnes.

Lime, limette : même taille que le citronnier.

Les principes généraux consistent donc en :

  • la formation d’une charpente vigoureuse

  • la constitution de branches porteuses jeunes, bien alimentées, réparties aussi régulièrement que possible sur les charpentières

  • le remplacement des rameaux âgés par du bois jeune qui portera la fructification de l’année suivante.

Résumé du déroulement des opérations de taille (par exemple7) :

  • 1/ enlèvement du bois mort

  • 2/ suppression des branches basses qui penchent vers le sol

  • 3/ taille de la partie de l’arbre à hauteur d’homme (couronne basse), depuis le sol

  • 4/ taille de la (ou des) couronne(s) supérieure(s) depuis une échelle

  • 5/ taille depuis l’intérieur de l’arbre, plus particulièrement de la cime non accessible à l’échelle

A chaque opération ci-dessus correspond un tour complet de l’arbre. Les débutants pourront avoir intérêt, pour les opérations 3 & 4, à faire plusieurs tours de l’arbre, le premier tour servant à enlever les rameaux les plus importants, le second à faire la finition. Faire deux tours est une technique plus longue, mais permet de mieux visualiser en taillant petit à petit et parfois d’éviter des erreurs irrattrapables (une branche coupée ne peut pas être recollée…).

3/ CAS SPECIFIQUE : LES POMELOS

En Corse, on ne taille les pomelos que tous les trois ans. De plus, la taille est simplifiée :

  • enlèvement du bois mort

  • relèvement de la jupe (ce que j’appelle plus haut « faire la barbe »)

  • création d’une ouverture dite « puits de lumière » en haut au centre de l’arbre.

Cette méthode étant beaucoup plus simple que celle que nous avions suivie jusqu’ici, je pense que nous allons l’adopter.

Par ailleurs, les pomelos sont des arbres à port « semi » pleureur. La taille doit en tenir compte.

Nous avons deux variétés

  • les pomelos jaunes, variété Marsh. Les fruits exposés au soleil prennent des teintes marrons préjudiciables à l’aspect et donc à la vente, et de plus prémisses de pourriture. Il est donc intéressant de les protéger sous un feuillage quasi continu. La taille ne devra donc pas créer des trous dans le feuillage (encore moins que pour les autres agrumes).

  • Les pomelos roses, variété Star Ruby. Leur aspect n’est pas susceptible d’être altéré par l’action du soleil. Et de toute façon, les traces d’agression sont matérialisées par des marques roses, qui font partie de l’image du pomelo rose.

4/ EPOQUE DE LA TAILLE

Tailler après la fin de la récolte, et après les grands froids, soit en général à partir de la fin février. Le meilleur moment est février-mars. En avril, on commence à apercevoir les futures fleurs, et il est déjà plus difficile de rester impartial (la taille ne doit pas tenir compte des dites fleurs). On ne taille pas pendant la floraison (qui se produit en général vers le mois de mai), mais c’est plus par tradition (et pour ne pas déranger les abeilles ?) que pour des raisons techniques. On peut tailler tant qu’il fait chaud, au moins jusqu’en septembre8. Cependant, il est préférable de tailler avant la floraison, parce qu’ensuite, les opérations de taille risquent d’être encore plus influencées par l’apparition des futurs fruits, et de ce fait on risque de laisser des éléments qui auraient été supprimés si on avait taillé plus tôt ; en matière de taille, il ne faut pas « faire de sentiment ». Ce qui est parfois très difficile, nous ne sommes que des êtres humains (faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais !). Même quand on sait que l’influence sur la récolte sera nulle, il peut être dur de couper une branche même tordue, même dirigée dans une mauvaise direction, de surcroît entrelacée avec d’autres, quand elle est chargée de fleurs ! On voit aussi, serait-ce possible, qu’il pourrait y avoir un conflit d’intérêt9, sur ce coup-là, entre l’arboriculteur, qui n’a aucun intérêt à laisser trop de fleurs, et les abeilles (et donc l’apiculteur10) qui n’en ont jamais de trop !

5/ TAILLE ET EPINES

De l’utilité des épines : certains agrumes sont épineux, d’autres non. L’explication suggérée par A. de St-Exupéry pour les épines des roses , à savoir qu’il s’agirait de pure méchanceté de la part de la plante, ne nous semble pas plus crédible qu’elle ne l’avait été pour le Petit Prince. Les explications plus scientifiques invoquent plutôt la protection contre la chaleur, en particulier par la diminution de l’évapotranspiration (on parle alors plutôt des plantes qu’on trouve en milieu tropical, par exemple type cactées, les épines remplaçant les feuilles), et contre les herbivores (tiens, on revient un peu à l’explication de St-Ex !). Quoi qu’il en soit, les épines constituent un souci au niveau de la taille, et tailler de l’intérieur un oranger Moro touffu et exigu est une tâche digne d’un fakir. Faut-il pour autant couper toutes les épines considérées comme gênantes pour rendre la taille plus confortable ? La vraie question étant de savoir si la suppression des épines est susceptible de poser des problèmes à l’arbre. Ladite question reste ouverte, je n’en ai pas la réponse.

6/ APRES LA TAILLE

La troisième mi-temps n’est pas de mon ressort, et d’ailleurs il est un peu tôt, le travail n’est pas fini. Il reste encore une tâche à effectuer : s’occuper des bois de taille, qui jonchent le sol dans tout le verger. On peut bien sûr le laisser sur place, mais c’est peu pratique, ça va gêner un jour ou l’autre pour mettre l’engrais, si on met de l’engrais, ou pour toute autre opération. Il est a priori préférable de les collecter et de les regrouper. Ceci admis, plusieurs solutions, sont possibles :

  • la meilleure à mon avis consiste à broyer ces déchets végétaux pour les redonner en pâture à vos arbres, sous forme de BRF (voir article spécifique), ou les composter.

  • la plus mauvaise solution consiste à les brûler (Parfois la réglementation interdit de brûler. On peut alors s’en débarrasser en les emmenant à la déchetterie, mais ce n’est guère mieux, a priori. Ils finiront alors aussi probablement brûlés).

  • on utilisait autrefois les brouts de bigaradiers en parfumerie, pour en extraire une essence appelée essence de petitgrain ; solution potentiellement intéressante, surtout si votre verger est complanté, en tout ou en partie, de bigaradiers.

Je n’ai pas abordé la question de la cicatrisation des plaies de tailles ; ce sont des portes d’entrée potentielles pour des micro-organismes éventuellement pathogènes, et donc plus la cicatrisation est rapide, mieux ça vaut. Pour la cicatrisation des plaies importantes (quand on coupe des branches de diamètre important), on trouve des produits dans le commerce. Il semble qu’ils aient à la fois des avantages et des inconvénients. Pour ce qui nous concerne, et quelle que soit la taille de la branche coupée, nous ne mettons rien sur la coupure.

7/ CONCLUSION

Si vous avez bien intégré tout ce qui précéde11, vous êtes prêt(e)(s) à passer à la pratique. Vous êtes donc planté devant un arbre (un agrume, évidemment), un sécateur en main, et vous observez un rameau avec perplexité. Car vous venez de vous rendre compte qu’en suivant les prescriptions du texte, vous avez plusieurs raisons de le couper, et tout autant de raisons de le garder. Pas d’affolement, ceci est normal, car ici intervient la notion de « feeling » (terme anglais qu’on pourrait traduire en français avec une bonne approximation par « pile ou face »). Suivre son inspiration, tailler léger au début ; ne jamais couper de grosses branches sans être sûr qu’on ne va pas le regretter aussitôt après (je me répète : on ne recolle pas ce qui a été coupé…). Avec un peu de pratique, les pièces du puzzle finiront par s’assembler d’elles-mêmes.

Ne pas oublier que toutes les règles sont faites pour souffrir des exceptions, qui sont parfois légitimes, et celles citées ci-dessus n’y échappent pas.

PS J’ai décrit ci-dessus ce que je fais, depuis quelques années, et ce après plusieurs années de perplexité contemplative, et d’essais et sans doutes d’erreurs, de lectures et questions diverses ; j’en estime le résultat satisfaisant ; je ne mettrais pas ma main au feu que c’est vraiment ce qu’il faut faire, qu’aucune autre méthode n’est plus efficace pour obtenir le résultat souhaité. N’a de conviction que celui qui n’a rien approfondi. Cioran

La perfection n’étant pas de ce monde, ce texte est sans doute perfectible ; toute remarque constructive dans ce sens est bienvenue. Merci d’envoyer tout commentaire à l’adresse arcadia.vallauris@gmail.com.

8/ Bibliographie

  • La culture des agrumes – Ch. Boileau & L. Giordano – Tacussel éditeur – Marseille

  • Les agrumes et les fruits exotiques – G. de Ravel d’Esclapon – Solar

Voir aussi le très intéressant texte sur internet concernant la « taille douce :

http://www.agencedesarbres.org/pages/la_taille.htm

9/ Citation

Zigong demanda à Confucius à quoi se reconnaît un honnête homme. Le maître dit : « Il ne prêche rien qu’il n’ait d’abord mis en pratique ».

mise à jour au 31/03/2020

1 La révolution d’un seul brin de paille, Guy Trédaniel éditeur, p.84.

2 Rappelons qu’il s’agit ici d’un article à la fois technique et sérieux, non mais sans blague (ndla).

3 INRA San Giuliano – Entretien des plantations d’agrumes de Corse – 1974

4 Bien que nous ne pratiquions pas le blanchissage, je ne pense pas que nous ayons jamais perdu un arbre à cause des rayons du chaud soleil du Midi (ndla).

5 On verra bien sûr les choses de façon différente dans le cadre d’une taille de formation, si le but est d’obtenir, au contraire, des ramifications dans toutes les directions, pour conserver les plus intéressantes comme futures charpentières (ndla).

6 A rapprocher sans doute de la taille traditionnelle japonaise « en forme de verre à saké », destinée à faciliter la récolte (Fukuoka, La révolution d’un seul brin de paille, p.42).

7 Cet ordre me semble logique, c’est celui que je suis, mais on peut très bien envisager un ordre différent ; par exemple, faire l’intérieur avant l’extérieur, ou le haut avant le bas, semble tout aussi légitime.

8 Note de Jean-Noël : il ne faut pas tailler pendant le repos végétatif de l’arbre, on risque de le fatiguer en le sortant de sa dormance pour cicatriser. Par ailleurs, la taille en septembre octobre entraîne une perte sur la production de l’année.

9 C’est donc le second, avec les pépins (voir article « Clémentines et pépins »).

10 En plus, dans le cas présent, l’arboriculteur et l’apiculteur sont une seule et même personne !

11 Si par contre vous êtes parvenu(e)(s) à ce paragraphe sans avoir lu l’intégralité du texte qui précède, vous avez triché, ça ne vaut pas, et je vous engage vivement à retourner à la case départ…